Érotique, gaillard, polisson ? Allez, oublions le flacon, ne gardons que l’ivresse et saluons ce livre qui peut, selon l’expression consacrée, « se lire d’une seule main » mais mérite surtout qu’on l’applaudisse des deux. S’il maquille son nom, délicieuse minauderie d’écrivain distingué, l’auteur n’a pas masqué son talent. En quinze histoires coquines et raffinées, il multiplie les agaceries et fait saliver l’esprit. Déshabillés, frôlés, caressés, les mots ainsi érotisés s’abandonnent et se dévoilent, impudiques, entre les lignes. Avec un art consommé de la chute du rien et de la conclusion, Profane Lulu initie le lecteur à une littérature nommé désir.
De l'amour, Profane Lulu connaît les recoins. Du sexe il connaît les joies et les pièges. Il se voudrait Prince du désir toujours recommencé. Mais il sait que le bonheur est à facettes et qu’il faut souvent le retourner pour qu’il saisisse la lumière. Il en donnera donc quinze récits. Qu’il écrive pour Adèle, qu’il soit complice de Norbert et Adeline, qu’il soit Victor Hugo ou Belami, qu’il arpente la ville ou la vigne, il est au jeu de l’amour comme chez lui. Souvent il n’y comprend pas grand’chose, mais son désir de bien aimer est fort. Il se veut élégant et charnel pour lui-même et ses amours, pour autant, le plaisir des autres ne le rebute pas, au contraire, même, Profane le traque comme la plus belle leçon des choses de la vie. Sous les draps, sous le ciel immense, dans les fanfreluches de la dernière mode ou dans la plus grande nudité, des hommes et des femmes se cherchent, se trouvent sous son regard tendre et amusé. Quand il n’est pas lui-même en scène, c’est simplement qu’il a besoin d’un peu de répit.
Profane Lulu (comprenez Paul Fournel...) nous parle de son recueil de nouvelles doucement érotiques, Manières douces.
Manières douces est un recueil de nouvelles érotiques piquantes, mais n’est-ce pas avant tout le mystérieux sentiment amoureux qui est mis à l’honneur dans chacune de ses 15 nouvelles ?
C'est le bon vieux sentiment amoureux, en effet, qui est mis en scène, mais avec toute sa chaude relation au sexe, au désir, au jeu. Le sentiment amoureux est aussi logé dans la peau et dans les jolis recoins sombres des corps aimés. C'est là que je vais le débusquer.
La nouvelle se prête-t-elle bien à la littérature érotique ?
Si l'amour est fait de moments de complicité, de regards échangés, de caresses surprises, de rires partagés, de petits gestes de bonheur et de longues étreintes, il est un recueil de nouvelles.
Profane Lulu, vous êtes l’auteur de ce recueil, mais aussi acteur ou spectateur de ces quinze saynètes doucement érotiques, qui êtes-vous ?
Je suis celui qui aime aimer et qui aime le spectacle de l'amour.
Comme le sexe, chaque nouvelle de votre recueil est un jeu. Je pense en particulier à « Ciné-roman ». Pouvez-vous nous en dire plus sur cette histoire toute poétique ?
ll n'y a pas d'amour sans jeu. Il n'y a pas d'amour sans histoire. Il n'y a pas d'amour sans les histoires de l'amour. Chaque amour s'inscrit à sa façon dans une vaste histoire des amours. Chaque passion porte en elle la trace de toutes les passions. Cette nouvelle tente de placer l'amour que se portent les deux personnages dans la grande chaîne amoureuse, la chaîne des gestes recommencés que la littérature conserve dans ses plus beaux moments. C'est cette quête-là qui est la règle de leur jeu amoureux. S'aimer, c'est toujours s'aimer comme on s'aime et s'aimer comme Victor Hugo aimait, comme aimaient Baudelaire et la Princesse de Clèves.
Adèle, personnage au prénom si doux. Est-ce une muse, un modèle qu’il vous plaît, Profane Lulu, de défeuiller et d’habiller en même temps ?
Adèle au doux prénom est celle que l'on habille pour mieux déshabiller. Profane est styliste parce que rien n'est plus voluptueux que d'inventer le bel habit qu'il devra retirer ensuite dans l'impatience du désir qu'il vient soigneusement de construire. Adèle est peut-être une muse, mais elle est surtout le clair sujet d'un désir. Elle en joue.
Le désir charnel semble emprunter des voies impénétrables et peut naître dans des endroits aussi improbables que peu adaptés, tels que le métro ou la place des Vosges, est-ce un matériau littéraire riche, inépuisable et… amusant ?
Bien sûr que ce jeu est amusant. L'amour est partout où l'amour se trouve : aimer est une activité à temps plein et le désir de l'autre, mêlé au désir de le surprendre, peut surgir à chaque seconde, dans les endroits les plus incongrus, selon les règles les plus fantaisistes. Je me sers de ce côté bondissant du désir pour créer des situations cocasses, inattendues, risquées parfois, mais drôles...
On lit ce recueil avec un sourire en coin, à la fois coquin et amusé. L’humour aide-t-il à parler d’érotisme sans tabou ni vulgarité ?
Les belles amours sans humour sont-elles vraiment de belles amours ? L'amour qui donne si bien envie de pleurer, ne donne-t-il pas aussi envie de rire ? Il est évident que cet humour est une arme contre la tristesse du désamour et le sombre ennui du sexe mal raconté.
Profane Lulu, avez-vous une confession à nous faire ?
Oui. Je ne suis pas moi. C'est Paul Fournel qui m'a créé de toutes pièces pour avoir le plaisir d'être au même moment personnage et auteur, acteur et voyeur, simple et double à la fois. Il m'a créé aussi – je lui en ai longuement parlé – pour jouer avec la tradition qui voulait que les auteurs de textes coquins se cachent derrière des pseudonymes. Il a choisi le sien transparent (il a brassé les lettres de son nom), il a ajouté des allusions (cherchez-les!) qui montrent clairement qu'il joue à se cacher et ne se cache pas vraiment. Mais ce jeu cependant masque tout de même une sourde inquiétude et voudrait ne pas être prémonitoire d'une montée fâcheuse du sexuellement correct. Le politiquement correct, l'écologiquement correct et le sexuellement correct risquent fort d'être bientôt les nouvelles plaies du monde. Faudra-t-il, dans un avenir proche, de nouveau se masquer? « Manières douces » est un petit remède préventif, une simple piqûre de rappel au plaisir.
Merci beaucoup Profane Lulu !