"Les silences de la guerre" se lit et s’affirme très clairement comme le pendant féminin au "Silence de la mer" de Vercors.
La guerre. Ce pourrait être n’importe laquelle. C’est celle de 1940. L’histoire se passe près de Brest, dans la maison réquisitionnée pour loger un officier allemand affecté à la construction du mur de l’Atlantique. Sur la côte finistérienne, cet officier du génie, originaire de la Baltique, se sent dans un pays fraternel. En face de lui, une jeune fille et son père. Vont-ils s’enfermer dans le mutisme comme les personnages du "Silence de la mer", de Jean Vercors ? Tous les trois choisissent de parler. Qu’est-ce que la patrie ? Qu’est-ce que le devoir en temps de guerre ? Ils évoquent ce qui a uni, désuni leurs pays respectifs dans le passé, ce qui les réunira un jour dans l’Europe. Ensemble ils vont tenter de comprendre l’incompréhensible, de se hisser mentalement au-dessus des clôtures, des barrages tel ce mur de l’Atlantique. Dans "Les Silences de la guerre", Claire Fourier entrelace le déroulement de la guerre et celui d’un amour. Elle donne à voir un homme et une femme qui choisissent de donner tort à la guerre et décident d’entrer dans une résistance supérieure. À nouveau, elle traite un thème qui lui est cher avec un souci minutieux de l’exactitude historique.
Questions/réponses entre Armel Louis de la librairie La Lucarne des écrivains
Vous étiez d'abord bibliothécaire. Comment avez-vous traversé le miroir afin de devenir écrivain ?
Longtemps je n’ai écrit que des lettres. C’était le titre initial de "Ce que dit le vent d’ouest" et c’est celui d’un chapitre de Je ne compte que les heures heureuses. Je suis venue au livre par la lettre. Exerçant mon métier par intermittence, car épousant la carrière itinérante de mon mari, j’étais régulièrement séparée de mes amis qui devenaient des correspondants. Un jour, j’ai eu envie d’élargir le petit monde de ces correspondants et d’écrire une longue lettre au vaste monde. Tous mes livres sont marqués au coin de la lettre, "Métro ciel" en tête.
Romancière, diariste ou poète, vos textes ont une résonance fortement autobiographique. Pourquoi ?
Autobiographique est inexact. J’ai pris le parti de la subjectivité. Au vrai, chacun ne fait que témoigner ; dire le contraire relève de la simagrée. Un livre est mitoyen entre l’auteur et le lecteur, dit Guéhenno. Mes livres sont moi et sont plus que moi. Ils partent de ce qui m’a touchée, traversée, c’est-à-dire de mon « prochain ». Et ils tâchent d’aller vers lui, en traduisant ce que la fraternité m'a fait percevoir. Au frémissement des antennes, s'ajoute l'effort de réflexion – il s'agit de faire entendre une voix. C'est la dimension poétique du travail d'écriture.
Dans deux de vos romans, le sujet central est la guerre, celles d'Indochine et de 1940. Dans le dernier, "Les silences de la guerre", vous répondez soixante-dix ans après au célèbre livre de Vercors, "Le Silence de la mer". Comment ?
Jean Vercors a écrit un livre d’homme et de propagande. J’ai écrit un livre de femme, au plus près de la réalité. Un jour, l’idée de reprendre le sujet s’est imposée à moi comme un devoir. Tandis que Vercors en ferme ses personnages dans le mutisme, j’ai fait dialoguer, dans une maison réquisitionnée près de Brest, un officier de l’Organisation Todt, travaillant au Mur de l’Atlantique, un père et sa fille de vingt ans. Ils évoquent le passé de leurs pays respectifs (le Prussien, la résistance de son pays à un autre Führer : Napoléon). Le père, résistant, se prend d’amitié pour l’officier du génie qui se révèle antinazi. Hermann et Glaoda refusent de se soumettre aux ordres délirants des histrions politiques et vont vivre leur amour sur fond de délicatesse et de goût pour la peinture de C.D. Friedrich, originaire de la Baltique comme l’officier. Tous les trois choisissent d’entrer dans une résistance supérieure – résistance à la guerre ellemême. Histoire d’estime et d’amour, inspirée par l’Internationale de l’esprit prônée par Romain Rolland et par l’esprit chrétien : « Aimez vos ennemis ». Pas de mur mental, en plus du Mur de l’Atlantique. Au dessus de la haine, imprimé sur le bandeau du livre, rappelle le titre que l’écrivain pacifiste et européen avait d’abord donné à "Au-dessus de la mêlée".
Vous partagez votre vie entre Paris et Carnac. Quels liens entretenez-vous avec la langue française et le breton ?
Je ne comprends ni ne parle le breton. Enfant, j'ai entendu sa musique et je sens bien que cette langue ensemble incisive et cadencée, imagée, coule dans mes veines ; elle me vient au bout de la plume. J'apprécie la langue française nette et limpide.
Quels sont vos maîtres en littérature d'hier et d'aujourd'hui ?
Montherlant, pour la langue à la fois simple et somptueuse, l'écriture qui claque au vent. Colette, pour la langue parfumée. Louise Labé, pour l'élan amoureux et la langue verte et fraîche, enlevée. D.H. Lawrence, pour la vision cosmique et la "conjonction des sangs" sur laquelle il fonde l'amour. Issa, pour le regard tendre et fantaisiste qu'il pose, à travers le haïku, sur l'humble vie de tous les jours. D'autres aussi, bien entendu. Celte, je me sens humble fille de Joyce : sa méthode digressive, spiralée (typiquement celtique), qui ramasse une vie dans une poignée d'heures ou de jours, s'impose à moi.
Parlez-nous de vos éditeurs.
Les éditeurs ont chacun sa sensibilité. J'ai eu une relation privilégiée avec Jean-Paul Rocher, de tendance anarchiste, qui a décidé une fois pour toutes de me faire confiance parce qu'il appréciait une manière, disait-il, de "saisir les choses par le travers". C'est une chance, car cela m'a permis d'écrire à partir de l'exigence intime et de suivre ma pente sans attacher d'importance au sort de mes livres. Pour des raisons de santé, il n'a pu éditer "Les Silences de la guerre". Plusieurs éditeurs voulaient ce texte, il m'a semblé juste de le donner aux éditions Dialogues.